La Ruée Allemande
Le 14
Mai, vers midi, des éléments de nos divisions blindées, qui avaient été portées
jusqu’au canal Albert pour renforcer les troupes belges refluent, complètement
désemparés vers nos lignes.
Les
chars allemands appuyés par l’artillerie et de nombreux avions de bombardement
ont franchi facilement le canal Albert et s’avancent vers nous.
La 1er
Armée française qui a quitté la zone frontière fortifiée pendant l’hiver 39-40
pour se porter au secours des belges devenus nos alliés le 10 Mai, va donc se
battre à découvert : geste chevaleresque du gouvernement français.
Le choc
a lieu, dur, bref et décisif.
C’est
une Division Nord-africaine (D.I.N.A), non motorisée, arrivée après nous en
ligne, à peine installée qui le reçoit. Les Tirailleurs se battent vaillamment,
mais ils ne peuvent empêcher l’ennemi de percer notre système de défense et de
progresser.
D’autre
part les nouvelles de la 9ème armée au sud de la Sambre sont mauvaises.
Notre flanc droit est découvert et nous risquons d’être encerclés.
Le 15
Mai, nous recevons l’ordre de battre en retraite
La retraite
Des le
début de l’après midi, le général JANSSEN, commandant la 12ème D.I.M
m’ayant convoqué à son PC m’informe du mouvement de retraite de la division.
«
Les bataillons au contact de l’ennemi décrocheront à la tombée de la nuit et
gagnerons leurs nouveaux emplacements avant le jour. Le 1er
bataillon du 8è zouaves et un bataillon du 106è RI s’installeront en position
défensive sur le ruisseau de l’Orneau et couvriront le repli de la division.
Mission :
« Tenir sans esprit de recul jusqu’au 17 mai au matin »
Après
une reconnaissance rapide faite en
« Tempo » (voiture allemande de liaison tout terrain) je retourne à
Temploux donner l’ordre de mouvement du bataillon.
A la
tombée de la nuit, les compagnies sont en place sur leur nouvelle position.
Deux sections du génie divisionnaire préparent hâtivement des fourneaux de mine
afin de faire sauter le lendemain matin les ponts de la route et du chemin de
fer reliant Charleroi à Namur. Je m’arrête près du pont de la route, à la
sortie ouest du village d’Onoz en contact étroit avec nos avant postes.
Toute la
nuit les colonnes d’infanterie et d’artillerie avec leurs trains défilent tous
feux éteins et en silence.
A 4h30
tous les gros sont écoulés. Nos avants postes sont alors poussés en avant des
bois qui bordent la rive droite de l’Orneau. L’un d’eux tenu par la 1ère
section de la 1ère compagnie, à droite du dispositif, se trouve
ainsi à 2 kilomètres en avant de notre ligne de résistance, en enfant perdu.
Reconnaître l’ennemi et le retarder au maximum.
Renseigner :
mission périlleuse pour un avant poste, dans un bois ou toutes les surprise
sont possibles.
A 8h35,
les ponts sautent et s’écroulent avec fracas. Nos sapeurs ont bien travaillé.
Les zouaves sont prêts et attendent.
Violents combats à l’arrière
garde
En
fin de matinée nos sections aux avants
postes reconnaissent l’ennemi et l’obligent à se déployer en lui infligeant des
pertes. Elles rentrent l’après midi, vers 16 heures ayant entièrement rempli
leur mission.
Quelques
minutes plus tard, les coups de fusils crépitent un peu partout, bientôt suivis
d’explosion de grenades. Ce sont les compagnies allemandes qui prennent notre
contact et essayent de franchir le ruisseau et la route qui le longe. Les
zouaves tiennent bon et l’on distingue très nettement les rafales de nos fusils
mitrailleurs, claires et sèches, dont l’écho nous est renvoyé par le bois.
Silence
relatif d’un quart d’heure. Puis les obus de la batterie d’artillerie
régimentaire allemande commencent à tomber, mais leur tir n’est pas ajusté et
ne nous cause aucun mal.
Nos
mitrailleuses, nos canons antichars bien camouflés restent muets : ils ne
se feront entendre que lorsque les allemands déclencheront leur attaque qui ne
saurait plus tarder. En effet, vers 17h30, le tir de l’artillerie ennemie
devient plus intense et des obus de gros calibre vont même fouiller nos
arrières, sur nos renforts supposés, et sur la batterie de 75 qui nous appuie.
L’attaque allemande se déclenche alors sur tout le front, avec une extrême
violence. Nos mitrailleuses et nos engins tirent sans discontinuer.
Les
zouaves sont à la fête.
Retranchées
sommairement depuis la veille mais suffisamment protégés dans leurs trous
des éclats d’obus, ils attendent le choc, calmes et ardents, ne tirant qu’à bon
escient et causant de lourdes
pertes à l’ennemi, bien appuyés par les artilleurs du 25ème RA dont
les obus passent en sifflant au dessus de nos têtes
Partout
l’assaut est repoussé ; néanmoins devant la 2ème compagnie, les
allemands ont réussi à s’approcher à 50mètres de notre ligne et nos hommes ne
peuvent bouger de leurs abris sans risquer de se faire abattre. Le sergent
chef Grossard au poste d’observation du bataillon remarque alors un
rassemblement ennemi devant la 1ère compagnie à notre droite.
La
batterie de 75 du 25ème RA renseignée par téléphone, déclenche alors
aussitôt sur le point indiqué quelques rafales de 75 et nos observateurs ne peuvent
réfréner leur joie bruyante à la vue des allemands qui s’éparpillent de tous
les côtés, cherchant un abri, un fossé, un trou.
Marche dans la nuit
Vers 19
heures, je reçois du Colonel commandant l’infanterie divisionnaire l’ordre de
décrocher à la tombée de la nuit et de diriger le bataillon sur Lambersart ou
je dois recevoir de nouveaux ordres.
Au bas
du papier, ces mots du colonel : « les allemands sont à
Fleurus ».
Ils ont
donc progressé sur notre gauche et menaçant de couper notre ligne de retraite.
La situation est très critique. Je sais que la division a déjà fait mouvement
sur Charleroi et que les colonnes ont été bombardées par des stukas.
A 21
heures, le repli du bataillon commence. Les canons de 47 de la batterie
divisionnaire anti-chars, ceux de 25 tractés par des latils ou chenillettes
partent les premiers, les bruits des moteurs au ralenti masqués par des rafles
de mitrailleuses. Nos mitrailleuses lourdes suivent, puis les compagnies F.V en
commençant par la droite.
Toutes
les opérations se passent dans le plus grand calme, sans bruit, en ordre. Nous
avons un seul blessé, le caporal Chasseigne, député de l’Indre qui a
refusé de coudre des galons de sous-lieutenant avant de les avoir gagnés au
feu.
A 22
heures, la section de la 2ème compagnie qui doit couvrir notre
marche quitte ses emplacements de combat, au nez de l’ennemi et prend la route
de Velaine. J’arrête au passage à mon PC, la patrouille de queue et nous
écoutons pendant cinq minutes. Rien l’ennemi n’a pas bougé. Le silence est
impressionnant. Les hommes sont calmes, très calmes, bien qu’ils se soient
battus toute la soirée, l’un d‘eux me dit « Les boches ? Bah !
Ce qui m’embête, c’est de ne pas pouvoir allumer une cigarette ! »
Le 17
Mai à la pointe du jour, le dernier élément du bataillon arrière –garde
franchit le pont sur le canal de Bruxelles à la sortie ouest de Charleroi. Les
sapeurs font aussitôt sauter le pont. Très fatigués par les combats de la
veille et par une marche de nuit de 40 km, les hommes vont se reposer dans le
de Monceau à 5 km environ de la ville.
Pas
d’ordre, mais on entend les canons de 75 qui tirent sans arrêt. Sur ces
entrefaites, l’adjudant Badée, chargée des voitures, guidé par un
motocycliste du bataillon lancé à sa recherche, nous rejoint et nous apporte
quelques percolateurs remplis de café chaud naturellement très apprécié.
Je lui
donne alors l’ordre d’amener le ravitaillement pour midi et de distribuer un
repas copieux et chaud puis de recompléter notre dotation en munitions.
« Où
est le Colonel ? » Badée me répond que les deux autres bataillons
sont déjà engagés dans la boucle du canal au nord de Charleroi, mais qu’il
ignore ou se trouve le PC du Commandant du régiment.
J’appelle
le chauffeur de la Tempo, « En route ! PC de la Division !
Trazegnies ! Je t’indiquerai le chemin ! »
Est-ce
de ne pas avoir dormi ? Est-ce la désolation du pays que nous traversons,
vidé de tous ces habitants ? Est-ce le harcèlement des obus allemands qui
tombent un peu partout, principalement sur nos nœuds de communication ?
Nous filons sans rien dire, nous avons hâte de savoir. A Trazegnies, un LCL de
l’EM nous indique que le Pc du commandant du régiment : Ferme du Corbeau,
salués par e nombreuses salves allemandes, nous y parvenons enfin.
Le
régiment est engagé à fond dans la boucle du canal et tient les passages de
Gouy et de Pont de Celles, attaqués sans répit par les allemands.
Les
écluses rompues ont laissé s’écouler l’eau et le canal est franchissable aux
chars. La situation est critique et l’arrivée du 1er bataillon que
l’on croyait disparu à l’arrière garde apporte une détente dans les esprits. Il
sera engagé des cette nuit même entre le 3ème bataillon du 8ème
Zouaves et le bataillon Devaux du 150ème RI. Il n’est pas question
de repos. On mange et l’on refait le sac.
Les
commandants de compagnie partent à 7 heures du soir en side-car effectuer les
reconnaissances, devançant leurs unités conduites par les lieutenants, ils
arrivent dans la zone de combat au moment ou se déclenche une contre attaque du
3ème bataillon contre l’ennemi qui a réussi en, fin d’après midi à
prendre pied de ce côté du canal. Pris sous un feu de barrage, nous sommes
obligés de nous aplatir fréquemment à travers champs avant d’arriver par bonds
au Pc du commandant du 3ème Bataillon.
Ce dernier
ne nous cache pas ses inquiétudes : une de ses compagnies a subi de
lourdes pertes et il est anxieux de nous voir arriver afin de lui permettre de
rétrécir son front trop large pour les moyens dont il dispose.
Nouveau Recul
A la
tombée de la nuit, la tête du bataillon n’est pas encore arrivée lorsque nous
recevons l’ordre de retraite. La division décroche du canal de Bruxelles à
Charleroi et doit faire mouvement en direction de Mons.
Il faut
rattraper le bataillon qui monte en ligne en colonne par un, afin d’échapper
aux bombardements des stukas et le faire changer de direction. La nuit est
noire affreusement noire. Par malheur, une erreur de marche a fait dévier la colonne que nous rattrapons
enfin vers 11 heures du soir du soir. Cette nuit encore, il faudra marcher sur
Mons par Fontaine l’Evêque et Binche, marcher encore pendant 37 kms.
Nouvelle étape de nuit
A
fontaine l’évêque, la route est déjà fort encombrée. Une colonne d’artillerie,
des trains de différentes unités s’en vont pèle mêle vers l’ouest. Chacun marche attentif à ne pas perdre dans
la nuit noire l’homme qui le précède. Personne ne parle ; on entend que
les bruits sourds des pas des hommes, les pieds des chevaux qui martèlent la
chaussée et les roues des caissons jetant leur note métallique dans ce lugubre
concert.
9 kms
plus loin, à Binche, l’embouteillage est complet. Des véhicules de toutes
sortes occupent la chaussée, à trois de front, avançant, s’arrêtant, repartant
et continuant ce manège jusqu’au croisement avec la route de Louvière par
laquelle débouche une nouvelle colonne. On dirait que tout le monde a hâte de
gagner du terrain vers l’ouest. C’est à celui qui passera le premier sans
considération d’aucune sorte. Les unités sont tellement enchevêtrées les unes
dans les autres qu’il faut attendre le lever du jour pour les remettre en
ordre.
D’accord
avec les commandants de compagnies, nous décidons de faire une halte de deux
heures à Binche. Les hommes sont très fatigués et d’autre part notre marche
sera ensuite moins pénible lorsque les gros se seront écoulés.
L’ennemi ?
Nous nous battrons s’il le faut. Je pose la question à un groupe de zouaves qui
cheminent en ordre derrière leur caporal. « Préférez vous continuer à
marcher et suivre la colonne, ou vous reposez ici pendant 2 heures, avec le
risque que d’avoir les boches sur les talons ? ».
L’un
d’eux, de la disponibilité, un ancien du bataillon du temps de paix après avoir
regardé du coin de l’œil ses camarades répond avec le sourire. « Le boche,
on s’en fout on a des cartouches »
Ce
sourire sur vos visages exténués, mes chers camarades de combat de 1940 qu’il
était éloquent et réconfortant ! Quelle confiance mutuelle
n’exprimait t’il pas !
Il fait
grand jour quand nous repartons de Binche et nous reprenons la colonne par un,
le « mouchard » (avion d’accompagnement allemand ayant un officier
observateur à bord) nous survole déjà à 1200 mètres d’altitude observant nos
mouvements. A Villers, un officier de l’EM de la division nous fait changer
d’itinéraire et nous aiguille sur Harmignies, Harveng et Ciply ou doit
cantonner le régiment.
Cela
allonge notre étape, les hommes sont épuisés après deux marches forcées de nuit
consécutives. Beaucoup ont les pieds écorchés et il y a des trainards. Une
camionnette déchargée à Ciply retourne prendre les sacs des plus fatigués. Par
petits paquets, tous arrivent au cantonnement avant la distribution de la
soupe du soir, heureux enfin de pouvoir
goûter une nuit de repos.
La guerre Eclair
(Blitzkrieg)
Le
lendemain 21 mai est enfin une journée de repos, ce qui veut dire que nous ne
nous battons pas et que nous ne marchons pas. Cela ne nous dispense pas de
nettoyer les armes, les équipements, de revoir les moteurs des véhicules qui
ont roulé toute la nuit et de refaire les chargements, nous devons être
constamment prêts à faire mouvement.
D’autres
unités du régiment sont aussi cantonnées à la Coulée et naturellement chacun interroge son voisin et voudrait
savoir. Les renseignements que nous pouvons obtenir par la TSF, nous causent de
grandes surprises. Nous écoutons tout ; les émissions françaises,
anglaises et allemandes afin de faire le point :
« Le
général Weygand a pris hier matin le Commandement des Armées Alliés »
« Le
général Weygand a rencontré aujourd’hui Lord Gort et les roi des Belges »
« M
Churchill a approuvé les mesures prises par le général Weygand et ordonné que
toute l’aviation britannique participe à la bataille »
« La
VIIème armée commandé par le Général Frère doit attaquer demain en direction du
Nord pour faire sa jonction avec le G.A 1 (groupe d’Armée n°1) »
(Radio
Stuttgart) « Nos colonnes blindées ont atteint hier la somme et remontent
vers le Nord-ouest en direction d’Abbeville »
(Radio
françaises) « La VIème Armée
commandée par le général Touchon prend à revers les forces allemandes
aventurées dans la Somme »
(Radio
anglaise) « La RAF a fait subir
des pertes considérables à l’aviation allemande »
Des
explosions proches nous font cesser l’écoute. Obus ou bombes ?
Ce ne
sont que des bombes.
Un secteur comme en 14-18
Un
motocycliste de PC du Colonel nous apporte un pli.
Notre
départ est fixé au lendemain 22 Mai. Le régiment doit aller prendre position
entre Orchies et Tournai ; les troupes anglaises établies en avant sur
l’Escaut doivent se replier dans le courant de la nuit. A midi nous quittons le
coron de la Coulée et prenons place dans la colonne entre le 3ème
bataillon et le 2ème. Des le passage au point initial, le chef de
bataillon fait prendre la colonne par un : c’est la formation la plus
souple, la moins fatigante pour les hommes et la moins vulnérable.
Les
zouaves n’ont d’ailleurs plus aucune crainte des bombardiers à croix gammée.
Lorsque
ceux-ci semblent dessiner une attaque, les hommes sur un geste du chef de
section s’écartent de la route et se portent à 50 mètres, à gauche ou à droite,
dans les champs, les vergers et se couchent pendant toute la durée du
bombardement puis se relève, reprennent la route et repartent.
A deux
reprises, notre colonne est ainsi prise à partie par les stukas et la première section de la 1ère
compagnie est durement sonnée en traversant Wallers, son chef le jeune sous-lieutenant
Bénard, très estimé et très aimé de tous y est mortellement blessé, alors
qu’insouciant du danger pour lui-même, mais soucieux de la vie de ces hommes,
il venait de les faire coucher, lui-même restant debout dans la grande rue de
Wallers.
Le seul
blessé de la journée.
A la
tombée de la nuit, nous atteignons Bourghelies, notre point de destination. Des
anglais sont dans le village et nous apprenons que leurs derniers éléments au
contact sur l’Escaut ne doivent pas se replier que le lendemain 23. Nous avons
donc 24 heures pour nous organiser.
La ligne
Cysoing-Bourghelles-Bachy que nous devons tenir sans esprit de recul court le
long de la frontière franco belge aussi y trouvons nous le lendemain matin
quelques ouvrages de fortifications établis par les anglais pendant l’hiver
39-40 et notamment un fossé anti-chars presque continu que nous décidons
d’utiliser.
La
journée du 23 est toute employée à creuser les emplacements de nos armes
lourdes, à relier les ouvrages déjà existants dont nous tirons parti à boucher
les brèches des réseaux et à placer des mines anti-chars sue les itinéraires
probables des blindés allemands.
Tous les
chefs de groupes profitent du court répit qui nous est accordé pour prendre une
liaison étroite entre eux et leurs voisins.
Dans la
nuit, les anglais battent en retraite et leurs derniers éléments passent nos
lignes au petit jour en bon ordre, nous lançant un amical «
bye-bye »
Nous
avons plus qu’attendre le choc ennemi. Des 9 heures, nos observateurs signalent
des colonnes allemandes en marche vers Eplechies et une heure plus tard, nos
avant-postes ouvrent le feu sur les premiers éléments allemands qui essayent de
déboucher du bois de fougères, sur notre droite
D’autres
groupes qui cherchent à s’infiltrer dans nos lignes sont reçus à coups de fusil
par les zouaves qui les attendent à bonne distance afin de mieux les ajuster.
En même
temps notre artillerie de 75 effectue des tirs courts et massifs sur les points
sensibles du bois de Fougères et sur les arrières ou des rassemblements ennemis
sont signalés.
La
pression allemande devient néanmoins de plus en plus foret et partout le
contact est pris. A midi l’artillerie adverse entre en action. Quelques obus de
réglage tombent non loin de l’endroit d’où je regarde, en compagnie du capitaine
De Peich, les flanquements réalisés par nos mitrailleuses lourdes.
Des
radios installés près de nous avec leurs postes ER 40 nous appellent ;
« On les entend bien ! »
En effet
nous saisissons très distinctement à l’écouteur ; « Letzer schuss-zu
kurz-300meter ! (Dernier coup trop court 300mètres)
Un avion
allemand d’observation nous survole précisément. Et trois minutes après, une
salve bien nourrie s’abat sur un point de terrain à 300 mètres derrière nous.
Des hommes rejettent alors un coin de la toile de tente qui les camoufle eux et
leur pièce et éclatent de rire. Le capitaine De Peich m’explique que les
servants de mortiers ont installé justement à l’endroit battu par les obus
allemands une fausse pièce de mortiers avec un tronc d’arbre et simulé deux
hommes avec des capotes bourrées d’herbe.
Cependant
l’ennemi s’acharne à tirer sur nos lignes et particulièrement sur les ouvrages
qui flanquent notre fossé anti-chars : son attaque semble imminente
A 16
heures, un premier assaut est repoussé par nos éléments de premier échelon,
mais une deuxième préparation d’artillerie plus violente que la précédente a
lieu sur toute la première ligne où nous ne laissons que les éléments
indispensable à notre sûreté, lesquels sont en outre bien abrités. A18 heures,
lorsque les allemands se ruent à l’assaut de nos positions, ils sont cloués sur
place par nos fusiliers et par nos mitrailleuses lourdes réparties en
profondeur et dont certaines admirablement camouflés ont peu souffert du tir de l’artillerie adverse. L’assaillant
a de lourdes pertes et est obligé de se retirer, laissant de nombreux cadavres
dans le fossé anti-chars que ses éléments de choc avaient réussis à atteindre.
La tragédie de Lille
Après ce
dur échec, l’ennemi ne réagit pas et contre notre attente, nous passons une
nuit relativement calme, ainsi dans la matinée du 25. Des escadrilles
allemandes de bombardement passent à
plusieurs reprises au-dessus de nos positions, se dirigeant vers le sud-ouest
en direction d’Arras d’où nous entendons une canonnade intense et de sourdes
explosions.
Que se
passe t’il la bas ?
Est-ce
l’armée Touchon qui attaque ?
Au PC du
régiment on ne sait rien. L’après midi l’ennemi recommence à pilonner nos
première lignes Vers 3 heures, il nous
couvre d’obus fumigène et déclenche une nouvelle attaque aussi forte que la
veille. Des le lancement des fusées rouges toutes nos armes automatiques
réalisent à plein le plan de feux prévu,
tandis que notre artillerie de 75 déclenche aussitôt ses tir de barrage.
En aucun
point l’ennemi ne réussit à prendre pied dans nos positions ; un de ses
groupes étant parvenu à franchir notre réseau devant un saillant à la sortie ouest
de Bachy est rejeté durement à coups de grenades.
Nous
avons rien à envier aux combattants de 14-18 et si ceux-ci connurent des
secteurs plus agités ou la terre tremblait
bouleversées par des obus de gros calibre, les hommes de 40 savent
montrer le même courage, le même sang-froid, le même esprit de sacrifice dans
des occasions qui leur sont offertes.
Le 26
nous recevons l’ordre de retraite. L’ennemi a réussi à franchir la Lys dans la
région de Courtrai et les troupes alliées ont du d’autre part abandonner tout
le saillant d’Arras.
Nous
décrochons donc à 21 heures chaque compagnie laissant sur place une section
pour couvrir son mouvement, laquelle se retire elle-même avant le jour, pour
gagner Péronne-en-Mélanchtois à 12 kms environ au sur est de Lille.
Au début
de l’après midi du 27, nous recevons l’ordre de la division d’aller nous
installer défensivement sur la Lys, dans la région de Nieppe, le 1er
bataillon doit tenir le pont de Nieppe à 1 kms au nord-ouest d’Armentières.
L’ennemi
s’est emparé de Boulogne le 25 et la
veille Calais est tombé entre ses mains malgré l’héroïque résistance des
troupes de la 21ème division du Général Lanquelot. Des troupes
anglaises se retirent de la batille et
retraite au nord de la Lys. Les belges ont été enfoncés dans la région de
Courtrai et leur capacité de résistance parait bien faible.
Les
succès des allemands sont déconcertants. La 1ère Armée se trouve
acculée à la mer. L’angoisse étreint les cœurs et se lit même sur le visage des
plus braves, de ceux qui veulent espérer
jusqu’au bout. L’avenir est bien sombre et pourtant quel réconfort de
vivre ces heures tragiques au milieu des soldats français de 40 dont le moral
reste toujours élevé dont la volonté de se battre augmente devant le péril et
qui n’ont pas encore subi d’échec.
A la
tombée de la nuit nous prenons la route de Lille ou nous arrivons vers minuit.
La grande cité est silencieuse et nous la traversons entièrement pour gagner la
route nationale numéro 42 qui mène à Armentières.
A Peine
avons-nous dépassé la citadelle et longé le canal avant de nous engager
sur la route de Lomme que nous tombons en pleine cohue ; des véhicules de
toutes sortes, des attelages, des hommes en débandade apparente refluent vers
Lille.
De
section à section l’ordre passe :
-
Halte !
Gardez vos distances !
Les
motos au commandant ! La nuit est noire et l’on voit à peine devant soi.
Que se passe-t-il ?
Nous
interrogeons les gens qui ont fait demi tour et semblent pressés.
Les
allemands sont à Lomme, la route est barrée par des blindés. Ce n’est pas une
raison pour se sauver. Le sous-officier ainsi interpellé ne répond pas tout
d’abord, puis il dit qu’il appartient à un service d’état major et qu’il s’est
perdu dans la foule comme dans un tourbillon.
Naturellement
la prévôté impuissante ne se montre pas et aucun organe régulateur ne
fonctionne aux carrefours d’itinéraires. C’est une horde qui déferle sur Lille.
Je place
immédiatement une section en avant-garde puis apercevant alors la voiture du
commandant du régiment, je vais aussitôt rendre compte à ce dernier des
évènements. Très surpris, il ordonne un arrêt du mouvement et va prendre les
ordres du commandant de l’infanterie divisionnaire qui arrive.
Il
revient peu de temps après et me prescrit d’envoyer une section en
reconnaissance sur Lomme.
« J’enverrais
plutôt une compagnie dis je et je me tiendrais prêt à la soutenir »
« Non,
une section suffit pour vous rapporter des renseignements »
Je
renforce néanmoins la section du sous-lieutenant Panet, désignée pour la
reconnaissance par une pièce de 25 et je lui envoie en outre un motocycliste de
liaison.
Une demi-heure
plus tard nous recevons le billet suivant :
«
3h45 sortie Est Lomme. Les allemands ont quatre ou cinq voitures blindées dan
Lomme et une cinquantaine de tirailleurs embusqués dans les maisons. Les 1er
et 2ème groupe du 25ème RA se battent dans le village
mais n’on,t pu forcer le passage. Grosse pertes chez les artilleurs ».
Ce
renseignements est transmis aussitôt au commandant du régiment et nous
attendons l’ordre d’engagement qui nous emble inéluctable.
C’est le
contraire qui se produit. Dans les circonstances actuelles, le combat doit être
évité et il sera recherché un nouvel itinéraire plus au nord pour atteindre la
Lys.
En
attendant le retour des reconnaissances motocyclistes sur les routes supposées
libres, nous nous regroupons dans le parc à l’ouest de la citadelle et
profitons d’un court repos avant la reprise du mouvement. Vers 8 heures,
inquiet de ne recevoir d’ordre, je vais au PC du régiment. Le colonel est assis
dans le jardin d’une villa abandonnée, ayant autour de lui les officiers de son
état major. Il ne sait rien sur la situation
et attend les ordres du commandant de l’infanterie divisionnaire.
«
il faut partir, dis-je nous ne devons plus attendre. Nous avons la mission
d’aller nous installer sur la Lys. Tout retard peut être néfaste.
Examinant
alors les routes possibles et voyant celle de la Deule ou se sont engagés les
colonnes hippo et auto bombardée par l’aviation allemande, nous décidons
ensemble de prendre l’itinéraire Lille, Lambersart, Verlinghem, Frelinghien,
route sans arbres exposés aux de l’ennemi sur laquelle nous ordonnerons aux
unités la formation la moins vulnérable, la colonne par un.
« Prenez
la tête, me dit le colonel et emmenez tous les canons de 25 pour protéger la
colonne contre les incursions possibles de blindés ennemis. Les deux autres
bataillons suivront ».
Toutes
les compagnies sont prêtes et n’attendent que le signal du départ. On dirait
qu’elles ont un noir pressentiment et
sans perdre un instant, elles se mettent en marche.
Les
canons du Lieutenant Lheureux, tracté par latils , doublent la colonne,
la devancent et sont mis successivement en batterie sur les chemins que
pourraient emprunter des blindés allemands venant de Lomme ou de Capinghem pour
nous attaquer de flanc.
Sur la
route, tel un long serpent de cinq kilomètres, le régiment chemine à bonne
allure. Il faut admettre que l’aviation allemande avait des objectifs plus
denses à bombarder car nous ne recevons pas une seule bombe jusqu'à la Lys, que
les éléments de tête du 1er bataillon franchissent vers 11 heures.
D’autre part nos canons de 25 – sauf un qui a la chance d’immobiliser un blindé
ennemi aventuré en pointe d’un premier coup tiré à 500 mètres- n’ont pas à intervenir
et rallient la colonne avec les derniers éléments.
NOTA. Nous
apprenions le soir même que les allemands
avaient réussi à encercler complètement Lille dans l’après midi, barrant
ainsi la route de repli des 4è, 15è 25è divisions, de la 2ème
D.I.N.A et de la division marocaine.
Ces
troupes d’élite, après avoir vainement tenté de se frayer un passage devaient
cesser la résistance le 21 Mai à 20 heures avec les honneurs de la guerre.
La dernière étape
A peine
installé à pont de Nieppe, un contre ordre nous envoie au Leuthe, à 3
kilomètres environ de Bailleul. Toute la soirée, la pluie ne cesse de tomber et
les zouaves qui viennent d’accomplir une étape forcé de près de soixante
kilomètres, arrivent harassés dans les fermes où ils doivent passer la nuit en
cantonnement d’alerte.
Enfin se
reposer et dormir. – dormir et se
reposer ? Non pas cette nuit.
A 9
heures du soir, le commandant du régiment convoque les chefs de bataillon à son
poste de commandement à la Crèche.
En
quelques mots, il les met au courant de la situation. J’arrive à l’instant du
PC de la division dit-il et notre situation est plus mauvaise que vous ne vous
y attendiez .Le roi des belges Léopold a capitulé sans conditions, hier à 23
heures. Lord gord a ordonné le repli des
troupes anglaises sur la côte en vue de leur évacuation. Dans Lille encerclés
résistent cependant encore les débris des sept belles divisions qui tenaient au
sud le saillant formé par Carvin, Bouchain, Denain, Condé et rien ne peut être
tenté avec quelque chance de succès dans le but de les dégager.
La
capitulation des belges et le repli des troupes anglaises ont permis aux
allemands de progresser aujourd’hui sur les flancs de la poche défendus par les
corps restants de la 1ère armée qui sont menacés d’être entourés des
demain matin.
Le
général Prioux,
partisan de résister sur la Lys a décidé de lier son propre sort à celui de la
majeure partie de son armée qui se bat encore glorieusement dans Lille et ses
faubourgs et ne veut pas quitter Steenwerck.
Il a
toute fois autorisé le général de la Laurencie, commandant le 3ème
CA, de prendre le commandement de l’ensemble des 1er, 12ème,
32ème divisions d’infanterie et du corps de cavalerie du Génie
Langlois et d’essayer de gagner Dunkerque en deux colonnes.
Nous
devons gagner la côte immédiatement si nous ne vouons pas être faits
prisonniers. Le colonel avoue avec tristesse que les généraux Janssen et
Lucas commandant la 12ème et 32ème DI qu’il a vus à
Steenwerck paraissaient très inquiets
sur la situation.
Il faut
absolument convaincre les hommes de la nécessité impérieuse de partir cette
nuit. Abandonnez les véhicules, laissez les sacs, les apprivoisements en
munitions, les armes lourdes après les avoir rendus inutilisables et partez le
fusil à la main, quelque biscuits, une boite de viande de conserve et des
cartouches dans les poches.
« Dites
bien aux hommes, ajoute le colonel, que la 12è DI motorisé doit être
transportée une des premières en Angleterre »
A onze
du soir, par une nuit noire, le 1er bataillon prend la tête du
mouvement. Pas un cri, pas un murmure, pas une cigarette, les zouaves arrachés
de leur sommeil, se sont reformés en
colonne et marchent en silence.
Le
lieutenant adjoint, un jeune parisien officier de réserve, ne peut cacher son admiration
et me confie ;
« Je
n’aurais jamais cru que les hommes soient capables d’un tel effort et puissent
faire preuve d’un tel esprit de discipline. Ils sont sublimes. »
Il fait
nuit noire, affreusement noire lorsque la première compagnie qui ouvre la
marche pénètre dans Bailleul bombardé, ou des maisons brûlent .La grande rue
principale est tellement encombrée que l’on y progresse à grand peine. Camions,
fourragères, autos de liaison, fourgons, charrettes, hippomobiles, roulent à
trois de front, se touchent, se heurtent, s’arrêtent, repartent, avancent d’une
cinquantaine de mètres, puis s’arrêtent à nouveau et attendent que les
véhicules précédents se soient remis en marche.
Des
conducteurs crient, s’injurient, maudissant le ciel et la terre, d’autres impassibles
ou hébétés sur leur siège sont résignés et silencieux. Des rafales de
l’artillerie allemande viennent augmenter le désarroi de cette cohue en
mouvement prise dans un passage trop étroit pour sa masse et ce n’est qu’après
avoir dépassé le centre de la ville que l’on retrouve un peu d’air et d’espace.
Le
bataillon en colonne par un parvient enfin à gagner la route de Locre beaucoup
moins encombrée et sur laquelle les unités sont orientées au fur et à mesure de
leur arrivée, par des motocyclistes placés à chaque carrefour.
Sur
notre droite des fusées éclairantes allemandes nous semblent être lancées très
prés de nous ce qui donne un peu de nerf aux hommes fatigués par les dures
étapes précédentes.
Nous
traversons le village de Locre comme le jour se lève et fidèle à une vielle
habitude, je m’arrête pour voir défiler
le bataillon et m’entretenir avec les chefs et les hommes. Tel un long serpent
de plus de trois kilomètres, le bataillon en colonne par un, marche en ordre
parfait, les liaisons bien établies entre les unités. Les sacs ont été
abandonnés mais beaucoup d’hommes n’ont se résoudre à jeter les objets devenus
familiers et portent des musettes trop gonflées. Les fusiliers se relaient pour
Porter leurs armes automatiques et à ma grande
surprise, j’aperçois quelqu’un portant une mitrailleuse lourde sur son épaule.
-
Pourquoi
n’avez-vous pas laissé cette pièce ? Elle est trop lourde pour cet
étape !
-
Rien
à faire, dit le sergent, ils ne veulent pas la lâcher.
-
Nous l’avons depuis le début de la guerre et
nous la garderons jusqu’au bout, dit le zouave qui la porte, on se changera.
Et les
yeux de ses camarades bien droits dans les miens expriment la même volonté, la
même résolution ; jusqu’au bout.
C’est le
sort de la France qui se joue en ce moment et tous le sentent si bien qu’un
prodigieux élan les fait espérer contre toute espérance – jusqu’au bout.
A
Poperinge, une colonne anglaise est déjà engagée sur notre itinéraire. Elle
marche en bon ordre, les conducteurs de véhicules respectant les distances n’essayent jamais de doubler. Un service
d’ordre sévère et intransigeant maintient une stricte discipline et non loin du
village, près d’un carrefour, un général anglais, une badine à la main regarde
et contrôle.
Que nos
hommes auraient été contents de voir eux aussi au moins une fois, le long du
calvaire un général français les regarder.
Vers
onze heures la fatigue est extrême et fort heureusement les bois de Proven nous
offre alors un abri contre les bombardiers allemands qui viennent attaquer
fréquemment la colonne. Nous en profitons pour faire une grande halte de 3
heures ; un court repos pour des soldats qui marchent sans arrêt depuis
deux jours et deux nuits.
Entre
Proven et Rousbrugge, nous rencontrons de soldats, des officiers belges qui
rentrent isolément chez eux, sans armes et parfois la vareuse déboutonnée.
Beaucoup
détourne la tête sur notre passage, dans la rue principale de Rousbrugge ou je
me suis arrêté un instant, un civil bien mis, l’ai soucieux m’adresse quelques
mots, puis brusquement me demande
-Dites
Monsieur l’officier, que notre roi n’a pas trahi. !
Je le
regarde finement, le salue et le quitte sans lui répondre. Il me fait presque
pitié !
Après
Rousbrugge, je devance la colonne pour gagner rapidement Hondschoote afin
d’avoir des renseignements.
Bray Dunes ; La mer
Un
désordre indescriptible règne dans la ville quand nous y pénétrons vers seize
heures : une foule y remue, foule d’hommes en uniforme, appartenant
principalement à des services, a des trains régimentaires, allant ça et la,
sans chefs pour les commander, ou avec des chefs qui ne commandent plus, rentrant dans les
maisons pour y chercher surtout à boire, s’y attardant, bavardant avec les
habitants. Au de la de la ville, en direction de la mer, des incendies
rougeoient des dépôts d’essence brûlent et lancent vers le ciel des nuages
épais de fumée noirâtre, des camions de munitions sautent, des explosions
sourdes se font entendre.
Sur la
place, je découvre enfin la voiture du commandant de l’infanterie
divisionnaire, son capitaine adjoint n’a pas d’ordres.
Le
commandant du régiment qui arrive à Hondschoote un peu plus tard n’a pas
d’ordre non plus. Seul le capitaine Villesuzanne, commandant la
compagnie hors rang, a un ordre ; celui de brûler les voitures du régiment
et à la sortie d’Hondschoote, tout notre beau matériel auto en bon état devient
la proie des flammes.
Enfin
vers 7 heures du soir, au moment ou nos éléments de tête arrivent à
Hondschoote, nous parvient l’indication de gagner Ghivelde ou la division doit
se regrouper, mais avec interdiction d’utiliser la route directe Hondschoote –
Ghivelde que les anglais gardent jalousement pour eux.
Le
spectacle de cette grande plaine embrasée par les incendies est sinistre et
grandiose. Hondschoote que nous venons de dépasser est alors bombardé par les
stukas allemands et de tous cotés des maisons, des dépôts d’essence brûlent
émettant une épaisse fumée noire.
A
travers les marais, par les routes encombrées de matériels de toute sorte
abandonnés pèle - mêle, nous accomplissons les derniers kilomètres de cette
ultime étape.
L’espoir
d’embarquer soutient ceux dont les pieds endoloris refusent presque de les
porter. Dans le canal qui longe la route, gisent des canons, des voitures, des
camions, des autobus, des chariots jetés la par ceux qui nous ont précédés. La
nuit qui tombe ajoute son horreur à ce spectacle lugubre et déprimant.
Là-bas
vers Bray- dunes, La panne et Furnes, l’horizon est en feu.
Pour
atteindre Ghyvelde, il nous faut faire un long détour car nous ne devons pas
gêner les mouvements des Anglais nos Alliés !
Complètement
harassés, nous atteignons enfin Ghyvelde vers 11 heures du soir. Une pancarte
fixée à une porte indique un poste de commandement. J’entre. Des hommes recrus
de fatigue sont la couchés au sol et dorment. Il n’y a plus de PC.
Plus
loin, dans chaque maison, chaque grange, chaque abri, des corps étendus,
immobiles, gisent, brisés par l’effort.
L’église
elle-même n’est plus qu’un grand dortoir et sur ses dalles, des combattants de
la 1er Armée ronflent ou geignent en attendant l’aube.
Ghyvelde,
jeudi 30 mai.- des l’aube je suis réveillé, malgré mon extrême fatigue, par le
froid et par un bruit de troupes en marche, les hommes parlant très fort et semblant très pressés. Je
regrette ma couverture et regarde autour de moi : des soldats de toutes
armes et des services en désordre, sans fusil, sans chefs, portant des paquets
des sacs, se hâtent vers Bray Dunes, vers la mer.
Je
réveille l’adjudant de bataillon Genoux qui dort encore sur le
dur ciment et nous allons ensemble vers l’église ou la section de commandement
du bataillon a passé la nuit, sur les dalles.
Elle est
déjà debout, l’arme au pied, prête à partir et le sergent chef Grossard qui me présente comme à la parade, m’annonce
fièrement « complet ».
Le lieutenant
Didier, un jeune professeur du séminaire de Chalons sur Marne, officier
de transmissions, le sous-lieutenant Soule adjoint, le
lieutenant Lheureux de la compagnie divisionnaire antichars (CDAC)
qui s’est rallié à nous et qui a réussi à faire passer, malgré les anglais,
quelqu’un de ses Latils et ses canons de 25, sont la aussi calmes et attendent
l’ordre de départ.
Genoux
et moi nous montons avec Lheureux sur un Latil pour aller vers Bray Dunes à la
recherche du PC du régiment, avoir des renseignements et des ordres pour
l’embarquement promis.
La route
de Ghyvelde à Bray est encombrée par les véhicules de toutes sortes, Anglais et
français, abandonnés pèle mêle, les uns l’avant dans le large fossé plein d’eau
qui longe la route, les autres en travers, les camions enchevêtrés dans des
chariots, de parc, des canons, des chars de combat, des caisses éventrées.
Nous
nous frayons difficilement un passage à travers ce chaos et la cohue des
piétons qui descendent vers Bray.
Au
passage à niveau de la voie ferrée, la route est complètement obstruée par des
équipages d’artillerie hippomobiles venus jusque la on ne sait comment et nous
sommes contraints d’abandonner notre Latil et de continuer à pied.
Passant
entre un énorme autobus parisien dont l’avant est enfoncé dans la vase du fossé
et un chariot de parc mis en travers de la voie, sautant sur le marche pied et
un char Anglais dont les munitions gisent éparses sur le sol, nous arrivons
néanmoins à sortir de cet amas vers Bray que nous atteignons bientôt.
Nous
apercevons alors devant nous la mer calme et belle. Le temps est superbe et
nous nous entons revivre. Des bateaux sont la, des vaisseaux de guerre aussi
avec leurs canons légers braqués vers le ciel
et l’on nous a promis que nous
embarquions dans les premiers.
Après
toutes les souffrances endurées notre espoir renaît. Nous oublions nos
fatigues. Nous regardons la mer avec des yeux dilatés.
La mer.
Enfin sauvés !
Toute la
côte est en feu, depuis Dunkerque à notre gauche jusqu'à la Panne au-delà de la
frontière Belge. Dans Bray même, peu de maisons intactes, presque toutes ont
reçu des bombes et plusieurs sont complètement démolies. De nombreux habitants
sont restés, n’ayant pu s’enfuir avant que les communications avec l’intérieur
ne soient coupées par les allemands ou n’ayant pas voulu abandonner leurs
maisons. Des belges venant des régions de Nieuport et Furnes sont venus grossir
leur nombre et tous ces gens se demandent anxieusement ce qui va se passer.
En approchant
de la mer, nous regardons les navires ancrés sur la plage de Bray et dont les
couleurs flottent au vent.
…. Ce
sont des bateaux anglais. Il n’y a pas un seul vaisseau Français !
Notre
cœur se serre de ne point voir la comme nous l’espérions, nos TROIS COULEURS.
Evidemment
il y ale port de dunkerque, il y a aussi MALO ! Nos vaisseaux sont
probablement las bas, mais puisqu’on nous avait donné Ghyvelde comme zone de
rassemblement de la 12ème DIM, nous nous étions faites à l’idée
simple que des bateaux français envoyés pour nous prendre, seraient à
proximité.
Non loin
de la dans les dunes, nous retrouvons le commandant du régiment et des
officiers de son état major. Leurs yeux sont secs et ils ne peuvent dissimuler
l’angoisse qui les étreint. Nous avions une foi entière en nos chefs de la 1ère
armée. Ici à Bray , nous avons l’intuition que nous passons sous un autre
régime ou le commandement partagé entre un général de corps d’armée et un
amiral, semble dépassé par les événements, surtout lorsque ceux-ci ne se
déroulent pas selon la règle du jeu.
Près de
l’extrémité de la grande rue menant à la plage, des anglais sont massés,
calmes, silencieux et attendent leur embarquement. Celui-ci commence vers 8
heures et se fait en ordre, par groupes de 50 hommes. Ils passent encadrés par
leurs officiers et sous officiers et se dirigent vers les pontons.
Et
nous ? Après une course épuisante, harassante, sous les bombardements des
stukas, interrompus par quelques journées de durs combats pour contenir
l’avance ennemie.
Quand
embarquerons-nous ? Et où ? A-t-on des ordres ?
Rien
Les
commandants des compagnies n’ont pu gagner Bray dunes avec leurs unités par
suite du refus anglais de leur laisser utiliser la route de Hondschoote à Ghyvelde
à 4 kilomètres à l’ouest de Bray Dunes.
« Qu’ils
y restent, puisque nous ne connaissons pas encore notre point d’embarquement.
Je ne veux pas demander un effort de plus à des hommes harassés, si cet effort
n’est pas indispensable »
D’autre
part, les bombardiers allemands viennent survoler fréquemment Bray dunes et jeter des torpilles
sur les bateaux et la ville.
La DCA
anglaise réagit violement contre les attaques aériennes ennemies et les pièces
des destroyers tirent avec acharnement sur les stukas.
Dans la
matinée, quelques avions viennent nous survoler à faible altitude. Des hommes
n’ayant pu voir, pendant toute leur retraite de Belgique que des appareils
ennemis, ouvrent immédiatement le feu. Une forte clameur s’élève des dunes, ou
les anglais ont reconnu les leurs et aussi de notre groupe ou plusieurs
officiers observent les avions avec leurs jumelles. Le feu cesse !
Une semblable
méprise ne se reproduira plus. Certes, Nos zouaves sont confus de leur erreur,
mais en même temps se trouvant réconfortés par l’apparition de ces ailes amies,
de ces ailes protectrices revues après un temps qui a paru long, bien long.
Très
haut dans le ciel, des chasseurs canadiens aux ailes blanches et noires
décrivent de grandes courbes dans l’espace.
Sur la
plage, la belle plage de sable fin qui s’étend de Malo les bains à la Panne,
errent depuis le matin des soldats français, en débandade ou par petits groupe.
Croient-ils monter à bord d’un bateau allié comme on prend le train dans une
gare de voyageurs au moment d’une grande affluence ? Et que leur nombre
forcera la consigne ?
Certains
ont voulu embarquer de force sur des navires anglais : ils ont été
durement refoulés. Quelques débrouillards qui avaient réussi à se hisser sur le
bord ont été jetés par-dessus bord, les anglais n’acceptant que nos blessés et
nos grands malades.
DUNKERQUE, camp retranché
Bray
Dunes, 30 mai, après midi
Enfin
nous allons embarquer
Une
estafette de la division se présente au PC du régiment. A peine le colonel
a-t-il jeté les yeux sur le papier qu’on lui apporte que son visage
s’assombrit.
-
il
n’est pas question d’embarquement, nous dit-il.
On
demande nos effectifs, l’état de la troupe, l’armement qui nous reste et divers
renseignements qui semblent indiquer que le général Falgade n’est pas du
tout disposé à nous laisser passer de l’autre côté de la manche !
La
surprise est grande et elle se change en stupeur lorsque vers 16 heures, nous recevons l’ordre d’établir le
régiment à l’est de Bray Dunes, de la mer au canal de Furnes. Après avoir
détruit sur ordre ses trains de combat avec leurs munitions, ses canons de 25,
ses obusiers, ses armes lourdes, ses chenillettes, le régiment doit faire front
et se battre.
Ce n’est
pas à vrai dire la perspective de se battre qui nous cause de l’émoi, mais nous
ressentons une amère déception en constatant, la vanité de la promesse
d’embarquement faite par nos grands chefs lors du sauve qui peut de bailleul.
L’espoir d’échapper aux allemands qui avait galvanisé les hommes, s’écroule.
« Battez
vous encore jusqu‘au dernier pour couvrir l’embarquement des
anglais ! »
Le général
De La Laurencie qui nous commandait hier encore n’est plus qu’un passager.
Son corps d’armée est dissous. Les 1er et 12ème divisions
d’infanterie motorisées et la 32ème division d’infanterie, en
entrant dans la zone de Dunkerque, passent sous les ordres du général
commandant le XVIè corps , chargé de la défense de Dunkerque, sous les ordres
de l’amiral Abrial, l’amiral « Nord ».
Des le
24 mai, le général Weygand avait décidé la création d’une « tête de
pont aussi étendue que possible couvrant Dunkerque » destiné au
ravitaillement de la bataille.
Dans la
nuit du 25 au 26, le général Blanchard commandant le groupe d’armée n°1 (GA1) avait précisé que
cette tête de pont devait avoir pour limites : le canal de l’Aa, la Lys et
le canal de dérivation.
Cette
conception ne fut pas réalisée.
Le 28,
la tragédie de Lille avait bouleversé la
situation. Le manque d’initiative de certains chefs et l’hésitation d’engager
le combat à Lhomme avait causé l’encerclement dans Lille de cinq de nos
meilleures divisions de la 1er Armée.
D’autre
part la capitulation belge et la coopération limitée des anglais avaient
empêché la réalisation rapide d’un camp retranché pouvant assurer l’évacuation
des troupes dans de bonnes conditions.
Les
Allemands avaient su exploiter au maximum les attaques contre nos divisions les
moins résistantes et créer des brèches dans notre dispositif.
Le 30
Mai, nous avons perdu à l’ouest la ligne de l’Aa et au sud, les allemands sont
devant Bergues, à moins de 8 kilomètres de Dunkerque.
Du
bastion 32, Pc du XVIè corps, les ordres sont presque aussitôt suivis de contre
ordres, par suite de la rapidité avec laquelle se déroulent les évènements.
La
défense du camp retranché de dunkerque
qui a été organisé tan bien que mal par des notes successives ; comprend
finalement deux secteurs ;
La 68ème
Division, face à l’ouest, occupe le terrain compris entre la mer et la ligne
Watten-bergues.
La SFF
(secteur fortifié des Flandres) fait face au sud en liaison à sa gauche avec
les anglais, au sud de la région marécageuse des Moëres.
Hier
matin, lorsque le général Janssen, commandant notre division s’est
présentée au bastion 32 pour connaître les conditions d’embarquement de la 12ème
DIM, ordre lui a été donné de renforcer les troupes de la tête de pont et
d’assurer la défense du canal de la basse Colme, de barnder à la frontière
belge et de la à la mer.
Un
officier de son état major, nous raconte la déconvenue du général à son arrivée
au PC du général Falgade.
Ce
dernier aurait fait illusion à la débandade générale et au mauvais état
d’esprit qui commencerait à régner dans la troupe. Le général Janssen aurait
protesté énergiquement et aurait affirmé que ses unités s’amenaient en ordre et
que malgré l’extrême fatigue des hommes après vingt jours de combats et de
marches forcées, le moral demeurait élevé.
Cette
brève réplique aurait alors fait changer l’attitude du général commandant le
XVI è corps, qui aurait vu dans l’arrivée de « la division des Coqs »
une occasion inespérée de renfort. Un délai de 36 heures était cependant
accordé au général Janssen pour réaliser son dispositif et promesse lui était
faite que des sa mission terminée. La division embarquerait.
Le
général Janssen était loin de se douter que par le seul fait que la 12è DIM
demeurait jusqu’au bout une division d’élite, il allait recevoir du commandant
du XVIè corps une telle mission de sacrifice. Il ne pouvait que s’incliner.
« -
a vos ordres mon général ! »
Entre
temps, nous prenons contact avec les défenseurs de la tête de pont.
Dunkerque, Camp
retranché
Un
sous-officier du 137è RI nous raconte que les trois bataillons de ce régiment,
le glorieux régiment de la tranchée des baïonnettes, composé principalement de
bretons et de vendéens, après s’être battus magnifiquement pendant quatre
jours, sur la ligne de l’Aa, ont été relevés par des unités du 225è RI et regroupés
non loin de nous dans la région de Téteghem. En quittant leurs position de
l’Aa, ils ont été étonnés de voir que ni Loon plage, ni Craywick, ni
Brouckerque, n’étaient défendus et que l’ennemi allait ainsi pouvoir franchir
sans être inquiété, les 5 et 6
kilomètres, séparant la position abandonnée de l’Aa de la position de repli
Mardyck-afgand.
Un
lieutenant d’une unité régionale ; le 15è RTT nous fait part de ses
craintes sur la valeur des unités du S.F.F. Manquant d’homogénéité et dont
certaines n’ont pas encore vu le feu, telles que les troupes à l’instruction
des C.I.D 60 et 21 (centres d’instruction divisionnaire).
L’artillerie
a subi elle aussi de profonds remaniements. Le 35è RA de Vannes, commandé par
le Lieutenant colonel Joubert a perdu trois de ses batteries ; le 25è RA
de Chalons sur Marne a du abandonner la plupart de ses canons dans la traversée
des moëres devant les barrages anglais.
Des
artilleurs de 75 servent des pièces de 95 marine. Les officiers d’infanterie et
d’artillerie qui doivent travailler ensemble ne se connaissent plus et cela
peut avoir une certaine répercussion sur la rapidité de déclenchement des tirs
d’appui direct dont l’infanterie a besoin.
La 60è
Division qui était aux ordres du corps
de cavalerie Belge sur le canal de dérivation de la Lys, arrivée le même jour
que nous dans la zone de dunkerque, devait relever les troupes du S.F.F qui conserve le commandement de son secteur.
La 32è
Division qui devait aussi embarquer, doit relever des éléments de la 68è
Division entre Bergues et l’Afgand.
On
dirait qu’au bastion 32 se joue une terrible partie d’échecs dont les pièces
changent de place suivant les fluctuations du moment.
Mission de
Sacrifice
Le
colonel ne me le cache pas d’ailleurs ; il met spontanément à ma disposition
la 9ème compagnie et m’autorise sur ma demande à pousser de forts
avant postes jusqu'à la frontière. En obligeant l’ennemi à se déployer avant
d’aborder notre ligne de résistance, nous pourrons reconnaître ses forces, lui causer des pertes et gagner
du temps, au moins jusqu’à la nuit du 1er au 2 juin.
En fin
de matinée les unités sont en place ; les 2e, 3e, et
9e compagnies sur la position de résistance, ayant chacune une
section aux avant-postes, - la 1er compagnie en réserve au centre –
la compagnie de mitrailleurs et d’engins formant l’ossature du dispositif et
spécialement chargée de la défense contre les blindés. Le sergent-chef Grossard
a poussé son poste d’observation jusqu’en première ligne ; le fil est
déployé et les ER 40 (appareils de téléphonie sans fil) donnent aux essais
d’une manière satisfaisants.
Au début
d’après midi, je visite successivement les unités afin d’arrêter en détail les
mesures à prendre pour le lendemain. Au cours des conversations qui ont lieu,
je donne aux sous officiers et aux hommes des renseignements sur notre
situation et sur la mission de chacun. Combien de temps devrons-nous
tenir ? – nous n’en savons encore rien, cela dépendra de la marine
française, des possibilités d’embarquement et des évènements.
-
Et
que deviendrons-nous ensuite ?
-
aucune
équivoque, nous embarquerons les derniers si nous le pouvons.
Tous ces
hommes aux visages sérieux aux traits fatigués par un effort physique
surhumain, que j’ai appris à connaître tout au long de nos étapes de Namur à Dunkerque
et pendant les combats livrés à l’arrière garde, je ne puis m’empêcher de les
admirer. Leurs regards droits et clairs qui se croisent avec les miens,
expriment leur volonté ardente de se battre et d’accomplir leur devoir tout
leur devoir. Ceux de la Marne, de Verdun et du Chemin des Dames peuvent être
fiers d’eux. Ils n’ont point démérité !
Demain
nous recevrons le choc Allemand, malgré la supériorité numérique écrasante de
l’ennemi, nous avons tous une entière confiance dans notre capacité de résistance ;
Ils ne passeront pas.
Derrière
nous le canon tonne dans la région de Spickher et du château de l’Afgand ou des
éléments du 341è et 225è RI renforcés des artilleurs de la section du
Lieutenant Kisselevsky du 39è RA résistent encore héroïquement aux assauts
allemands.
A notre
droite le 137è chargé de la défense du couloir de Notre Dame des Neiges –une
place d’honneur- a été violement bombardé toute la journée.
Pendant
ce temps nos alliés britanniques embarquent sur la plage de Bray dunes. A
diverses reprises les bombardiers allemands viennent attaquer en piqué les
bateaux anglais qui ripostent vigoureusement. La chasse anglaise veille sans
relâche très haut dans le ciel et vers 15 heures une quinzaine d’appareils
canadiens aux ailes blanches et noires mènent une ronde infernale autour d’une
vingtaine de Messerschmitt. Sept avions allemands sont abattus et l’un d’eux
s’engloutit en flammes dans la mer non loin de la.
La panne et Furnes brûlent et d’épaisses
colonnes de fumée noire montent vers le ciel.
A la
tombée de la nuit, l’artillerie allemande déclenche un tir violent sur Bray et
une centaine d’obus tombent autour du PC du bataillon éteignant fréquemment nos
bougies.
Vers 11
heures les dernières unités anglaises commencent à franchir nos lignes et se
replient sur Bray
Demain
les troupes françaises assureront seules la défense de dunkerque.
Samedi
1er Juin
A l’aube
de ce premier matin de juin nous sommes prêts à la lutte ; nous avons pu
récupérer des cartouches, quelques armes lourdes et le groupe de mortiers de
80 a eu la bonne aubaine de découvrir
quelques caisses d’obus à grandes capacités, ce qui le met de belle humeur.
L’équipe
de dépannage du Sergent Kempf a
remis en marche deux camionnettes avec lesquelles le sergent-chef Cosme
effectue rapidement les transports de munitions et de matériel du lieu de
récupération aux compagnies et deux de nos motocyclistes sont tout fiers
d’amener deux belles motos anglaises et d’exécuter devant nous quelques
acrobaties sur le sable.
Malgré
toutes les déceptions subies, le moral
est bon. Les hommes ont pu, la veille, améliorer d’anciennes tranchées creusées
des éléments nouveaux, disposer les mitrailleuses et les camoufler
soigneusement avec des branchages. Ils attendent, calmes, l’arrivée de
l’ennemi.
Pendant
ce temps, les anglais hâtent leurs derniers embarquements. Vers 7 heures 30 une
vingtaine de stukas viennent bombarder Bray, mais la défense riposte
énergiquement ; mitrailleuses, canons revolvers, pièces des destroyers
font un vacarme assourdissant. Au même moment l’artillerie de campagne
allemande ouvre le feu sur nos positions et la ville, semant la frayeur parmi
les quelques civils qui y sont demeurés et qui se hâtent de se réfugier dans
les caves. Des femmes maudissent la guerre et l’une d’elles dont je ne me
rappelle plus si elle était française ou belge me dit ;
« Pourquoi
vous battez vous encore ? »
Mais
avant que j’aie le temps de lui répondre, son mari l’entraîne dans un abri.
« Viens
tu ne peux pas comprendre, cet officier fait son devoir ! »
Des 6
heures, des éclaireurs allemands aperçus et signalés par nos observateurs
commencent à se montrer devant nos avant-postes qui attendent froidement de les
avoirs à moins de 400 mètres pour les descendre.
L’ennemi
surpris marque un arrêt et cherche alors à s’infiltrer par les fossés mais sans
succès.
Vers 11
heures, le danger surgit sur notre droite ou le 2ème bataillon a été
obligé de replier ses avant-postes. L’un
d’eux composé d’un groupe de 9 hommes commandés par le sergent-chef Delahaye,
installé au bloc Vesoul, tient tête toute la matinée à une compagnie allemande
qui avait réussi à progresser au sud de la route de Furnes et lui inflige de
lourdes pertes, malgré leur infériorité et les obus qui pleuvent sur le fortin, les zouaves
tiennent bon, mais un projectile éclate près d’un créneau tue le tireur au FM
et blesse mortellement le sergent -chef Delahaye. Le caporal Rafenne le
remplace aussitôt et la fusillade recommence par tous les créneaux jusqu'à ce
qu’une pièce allemande amenée à proximité réussie un coup d’embrasure tuant
deux hommes et en blessant grièvement
un troisième. Vers 11 heures les quatre hommes valides transportant
leurs camarades blessés se retirent en utilisant un fossé d’irrigation sur la
ferme de la grande mare pour rentrer à leur compagnie.
Menacés
sur leur droite, les avants postes des dunes reçoivent alors l’ordre de se
replier et leurs mouvements protégés par les tirs de nos mortiers sont terminés
à 13h30.
Nos
batteries de 75 sont aussi entrées en action et leur appui nous est infiniment
précieux. Les artilleurs du 15è RA de la 1ère division, que renforce
notre artillerie divisionnaire durement éprouvée au cours de cette longue
retraite, ont récupéré un lot important de munitions et peuvent se montrer
prodigues à notre égard.
Dans
l’après-midi, l’ennemi s’infiltre partout et est au contact de notre ligne de
résistance qu’il essaye de forcer en plusieurs endroits mais en vain. Du poste
d’observation, nos guetteurs nous signalent des rassemblements allemands, dont
l’un particulièrement allemands, dont l’un particulièrement important au bloc
Orléans devant la 3ème compagnie.
L’artilleur
est aussitôt prévenu par téléphone :
« Allo !
Allo ! Rassemblement ennemi Orléans ! »
Et moins
de cinq minutes plus tard les obus de 75 rageurs passent en sifflant et
miaulant au dessus de nos têtes pour aller éclater avec un bruit sec 300 mètres plus loin. Entre temps de violents
combats aériens ont lieur dans le ciel, deux bombardiers à croix gammée et deux
Messerschmitt sont abattus par les patrouilles de chasse anglaise et
canadienne, leurs occupants descendus en parachute sont faits prisonniers.
Au soir
l’artillerie allemande redouble de violence cherchant à atteindre surtout nos
positions avancées et s’acharnant principalement sur les ouvrages repérés par
son aviation d’observation. Jusqu'à la tombée de la nuit nos compagnies de
première ligne subissent les attaques de l’infanterie allemande.
Par
trois fois, celle-ci se rue à l’assaut après une violente préparation
d’artillerie et chaque fois malgré son écrasante supériorité numérique, elle
est rejetée avec de lourdes pertes.
Le jour
cessant, les allemands s’organisent devant nous et creusent à la hâte des trous
pour se protéger des tirs efficaces de nos batteries de 75 qui les harcèlent
sans arrêt, répondant immédiatement à toutes nos demandes.
Tard
dans la nuit, lorsque nos blessés sont soignés et évacués, nos transports de
munitions effectués, notre fil téléphonique réparé, nous pouvons songer à
prendre le repas du soir qu’un cuisinier à préparé dans une maison voisine en
profitant d’une accalmie et en utilisant les ressources du pays :
·
Beefsteaks
de cheval
·
Pommes
de terre frites
·
Pain
de guerre
Cette
journée a été aussi particulièrement dure pour nos voisins. Le bataillon du
137è, débordé sur sa gauche par suite du retrait des troupes anglaises au pont
à moutons, a résisté héroïquement aux attaques allemandes au nord du canal de
la basse Colme, mais non sans éprouver de lourdes pertes et a du finalement se
replier sur Notre-dame des neiges ou le
commandant Couhé, un héros des deux guerres, regroupe ses unités. A sa droite,
le 2ème bataillon du même régiment a été aussi très éprouvé et s’est
rabattu à la nuit sur le Galghouck.
La
garnison de Bergues tient encore malgré le violent bombardement par
l’artillerie et l’aviation allemandes qui dura toute la journée et l’ennemi n’a
pu progresser au delà des fossés qui entourent la vieille citadelle.
Derrière
nous, Dunkerque est en feu et de hautes flammes rougeâtres montent vers le
ciel, ou plutôt vers le nuage épais et pesant de fumée noire qui s’étend sur la
ville.
Dimanche
2 Juin :
Vers 3
heures, nos positions sont violemment canonnées par l’ennemi, tandis qu’une
escadre de stukas vient jeter des bombes sur Bray dunes, obus et torpilles
pleuvent. A la station, un train de munitions saute. Dans la ville en ruines,
plusieurs incendies s’allument.
Les
zouaves prennent une bonne part de cette grêle de projectiles de tous calibres
et leur matinée est bien remplie. Qu’on en juge par ces notes brèves extraites
d’un carnet de route :
8h30. Le
bombardement reprend avec une extrême violence. La terre tremble, nos pertes
sont cependant légères car les hommes ont pu creuser des tranchées ou renforcer
des abris pendant la nuit.
9h30.
L’attaque ennemie se déclenche dans les dunes. Les mitrailleuses lourdes et les
mortiers entrent en action. Elle est partout repoussée.
10h00.
l’artillerie allemande exécute un tir de ratissage sur Bray et ses environs.
Une deuxième attaque débouche presque aussitôt. Des éléments d’assaut
concentrés aux blocs Moulins et Orléans sont décimés avant de se lancer au combat par nos canons
de 75 et nos mortiers de 81 qui tirent à cadence rapide leurs obus à grande
capacité. L’ennemi est encore rejeté.
11h00.
Une grêle de projectiles surtout de moyen calibre s’abat sur les premières
lignes.
12h00.
troisième tentative allemande pour aborder nos positions. Elle est partout durement repoussée avec de lourdes pertes
pour l’assaillant.
Enfin
vers 13h30, une légère accalmie se produit et nous en profitons pour manger
rapidement un beefsteak de cheval et quelques biscuits car nous n’avons plus de
ravitaillements.
Et le
marmitage reprend une demi-heure plus tard avec une intensité encore accrue. De
nouvelles batteries ennemies nous prennent maintenant d’écharpe et nous
gratifient de leurs projectiles.
Après
leurs échecs de la matinée, les allemands
semblent renoncer à se lancer à l’assaut de nos positions, mais
cherchent plutôt à prendre pied dans nos lignes par des infiltrations locales.
Dans
l’après midi le Lieutenant De La
Taille (3è cie) signale que l’ennemi
est à portée de grenade de sa position de résistance. Le capitaine Lanneau
(2è cie) a vu de son coté des fantassins en feldgrau s’infiltrer en nombre dans
les creux des dunes devant son unité et s’attend à une nouvelle attaque.
Tous ces
renseignements sont apportés par les agents de liaison qui avec un courage
admirable, parcourent sans cesse les zones battues par l’artillerie allemande
et par le sergent Grossard qui du poste d’observation du bataillon suit
avec un réel mépris du danger tous les mouvements de l’ennemi.
Le
commandant du I/3cie ayant alors demandé l’appui des chars, le peloton de 5
Hotchkiss du Lieutenant De ferry est mis à sa disposition vers 16 heures. La
nature du terrain limitant l’emploi des blindés, il est décidé que les chars
couvriront la gauche du bataillon en cas d’attaque le long de la cote, ou
soutiendront une contre attaque éventuelle de la compagnie Moyse (1ère
Cie).
Pendant
ce temps, l’ennemi redouble d’ardeur, escomptant trouver un point faible par
lequel il pourrait faire une brèche dans notre dispositif et lance attaque sur
attaque. Partout les zouaves résistent magnifiquement, tous font preuve d’un
superbe courage et d’une volonté
inébranlable de battre l’adversaire.
Ceux
qu’il faudrait citer pour leur bravoure sont trop nombreux et je me
bornerai à mentionner :
Le sergent
Guay et le caporal Desbled de
la 1ère Cie, tués à leur poste pendant qu’ils réglaient le tir de
leur fusil mitrailleur sous le bombardement
Le
zouave Bessière
qui blessé par balle, refuse de se laisser emporter par ses camarades leur
rappelant qu’ils ont une mission plus impérieuse à remplir.
L’adjudant
chef Bazin, chef
de section à la C.A.B au sujet duquel le sous/lieutenant Henneteau a
produit le rapport suivant ;
«
Le 2 juin, les allemands portent leurs efforts sur la petite dune occupée par
Bazin et règlent en conséquence leurs tirs de mortiers et d’artillerie.
Dans la
matinée, ce poste est continuellement visé. Sans cesse les grenades et les obus
tombent à proximité. Le petit toit de sacs de terre protégeant les tireurs est
vite déformé. Le sable remplit les éléments de tranchée et les hommes ne sont plus protégés que
jusqu’à mi-corps .Ils doivent tirer accroupis, baissés sur leurs pièces qui
s’ensablent rapidement et s’enrayent.
A trois
reprises, l’ennemi essaie de s’infiltrer entre deux compagnies coiffant le
groupe de mitrailleuses par ses tirs, mais chaque fois celui-ci fait entendre
ses pièces qui brisent net l’avance adverse.
Bazin
sait l’importance de son poste. Bien que ce dernier soit très exposé, il a tenu
à y rester et il veut le garder car l’occupation de ce point par l’ennemi
serait une menace pour nos postes de défense de la gauche et même du centre.
Les servants mitrailleurs sont très éprouvés par le bombardement.
Au début
de l’après midi, les allemands réussissent à amener à quelque centaines de
mètres une pièce anti-char qui tire dans les créneaux du bloc la Rochelle.
Prise sous nos feux elle se retire.
Vers 13
heures, l’ennemi continue à s’infiltrer et n’est plus qu’a quelques mètres.
Vers 15 heures, nous repérons à 400 mètres environ, un groupe ennemi qui
installe une mitrailleuse. Pris sous nos tirs, il est contraint lui aussi de se
retirer, mais trois de nos servants sont blessés.
Bazin
qui se tenait alors auprès de moi, me quitte pour rejoindre ses hommes à
proximité. Tandis qu’il observe une nouvelle infiltration ennemie, une balle le
frappe en plein front, il est 15h30 »
Son
exemple avait électrisé ses hommes. Aucun ne voulut quitter ce poste d’honneur
et l’ennemi ne pût jamais réussir à s’emparer de ce point de résistance qui
l’avait tenu en échec malgré tous ses efforts.
En fin
de journée, une triste nouvelle nous parvient, le général Janssen
commandant notre division a été tué au fort des dunes vers 19h par un bombardement de stukas.
Nous
l’avions vu en début de l’après midi à l’entrée de Bray, fumer tranquillement
une cigarette sur la route alors q’un barrage de 105 avait obligé sa voiture à
stopper. Il avait voulu nous apporter lui-même la bonne nouvelle de notre
embarquement au cours de la nuit du 3 au 4 juin.
Nous
l’aimions tous pour sa simplicité, son esprit de justice, sa bravoure, son
jugement clair et ses décisions nettes qui rendaient facile la tache de ses
subordonnées.
Des
autres secteurs de la tête de pont, les renseignements sont peu rassurants. A
l’ouest dans le secteur de la 68è DI, l’ennemi a réussi à gagner du terrain au
nord du canal de la haute Colme s’emparant du château de l’Afgand ou le
lieutenant Martin Jaubert résistait héroïquement depuis cinq jours avec deux
sections d’infanterie et une d’artillerie aux assauts furieux d’un adversaire
cinq fois supérieur en nombre.
Entre
Bray dunes et Bergues toute la XVIII Armée allemande a attaqué avec cinq
divisions nos positions et si elle a subi un échec complet dans la région de
Bray, elle a néanmoins remporté avec succès sur le front défendu par le S.F.F
(secteur fortifié des Flandres).
Bergues
est tombé et malgré l’héroïque défense des survivants du vaillant 137è RI
et la meurtrière contre attaque faite
par le C.I.D 21 soutenu par le 7è G.R.D.I (groupe de reconnaissance
divisionnaire) et le 18è G.R.C.A, la 18è division silésienne, la
« division de sang » a réussi é s’emparer du village de Coudekerque
et est aux portes même de Dunkerque.
Lundi 3
juin « la division embarque dans la nuit du 3 au 4 juin » a dit le
général Janssen.
Il faut
donc tenir à tout prix encore aujourd’hui.
Notre
situation est critique. Nous risquons de nous voir coupés de Dunkerque.
N’importe ! ici dans les dunes de bray, nous tiendrons jusqu'à l’heure du
décrochage !
Dans la
matinée, les allemands renouvellent
leurs tentatives pour aborder nos lignes et l’action de leur artillerie
se fait durement sentir car ils ont maintenant des batteries au nord du canal
de la basse Colme qui nous prennent de revers.
Par
contre, les attaques de leur infanterie, découragée par ses durs échecs de la
veille, sont molles et sont facilement repoussés
Nous
apprîmes, le lendemain au bivouac de Rosendael des officiers allemands
eux-mêmes que leurs compagnies engagés devant nous, dans les dunes de Bray,
avaient perdus dans la seule journée de 2 juin, environ 40% de leurs effectifs.
Enfin
dans l’après midi, nous parvient l’ordre de décrochage. Le début de l’opération
est fixé à 21h30. L’espoir renaît dans les cœurs malgré toutes les désillusions
des derniers jours.
Chacun
reprend confiance et attend l’heure du repli, le moment de gagner Dunkerque et
de sortir enfin de cet enfer.
Tard
dans la soirée, nos mortiers de 81 lancent leurs derniers obus, dont une
centaine à grandes capacités, sur tous les points que nous avons occupés par
l’ennemi. Cette manière de détruire nos munitions n’est pas conforme à l’ordre reçu qui est de les
immerger ou d’enlever les fusées, afin que notre repli passe inaperçu de
l’ennemi, dit-on.
Mais il
est plus conforme à notre tempérament et
de plus nous en faisons un point d’honneur.
Réussirons
nous à gagner le môle est de Dunkerque ou les bateaux nous attendent ?
Nous
devons gagner cette nuit le môle Est de dunkerque où les embarquements
commencent à 22h30. J’ai dans la poche une belle instruction concernant le
décrochage et l’embarquement. Rien ne manque pour le décrochage proprement dit.
On y a tout prévu comme dans un thème de l’Ecole de guerre et elle pourrait
aussi bien s’appliquer dans un autre lieu et à un autre temps en changeant
quelques noms et quelques chiffres.
Pour certaines
unités, son exécution est facile. Pour nous, qui avons pourtant décroché
plusieurs fois au cours de notre retraite de Namur à dunkerque, en ligne brisée
de plus 300 kilomètres, le temps qui nous est donné nous parait une véritable
gageure. Nous avons environ 15 kilomètres à
faire pour atteindre le point d’embarquement, par une nuit noire et en
suivant un itinéraire soumis à de violents
tirs de harcèlement de l’artillerie ennemie. Nous ne pourrons pas atteindre le
môle est avant une heure du matin. Les éléments de protection qui doivent
rester sur place jusqu’à minuit ne pourront pas y être avant 3 heures et demie.
Fiévreusement
les officiers consultent leurs montres et à l’heure exacte mettent leurs unités
en marche.
Pour la
dernière fois, j’observe leur long défilé au passage à niveau de Bray. Les
hommes passent dans un ordre parfait et tous ont leurs armes. Ils me rappellent
les combattants de Verdun et de champagne relevés du fort de Douaumont ou De
Navarin.
Ce sont
eux.
Ils
ignorent presque tous la situation .Dans la sortie, celle-ci est devenue
tragique. A l’ouest la 68ème D.I tient encore le canal de Bourbourg,
mais elle a perdu dans le bataille le 341è RI et elle n’a pu empêcher les
allemands de s’emparer de la ferme du grand Meuninck malgré l’héroïque défense
de l’artillerie du 89ème RA commandée par le capitaine Lemmonier qui
s’était sacrifié pour faire cesser un
tir trop court de nos batteries.
Au
centre, les unités de la division de marche du secteur fortifié des Flandres,
constituées d’éléments hétérogènes – en particulier le régiment Z- n’offrent
plus qu’une faible résistance. Les Meurtrières contre attaque faites en vue de
rejeter un ennemi supérieur en nombre sur la Basse Colline ont usé nos disponibilités
et permis aux allemands de faire tomber rapidement Teteghem et de s’avancer
jusqu’à Coudekerque Branche et au canal de Furnes.
Le
désarmement est grand et si malheureusement quelques rares groupes de soldats,
composés surtout de travailleurs régionaux arborent des loques blanches au bout
de bâtons au moment de l’approche des allemands, par contre la tourmente qui
emporte nos unités tournoyant dans la mêlée sur les ordres et contre -ordres,
suscite les plus beaux actes d’héroïsme
de nos fantassins cavaliers,
artilleurs et marins que l’histoire ait jamais enregistrés.
A
Téteghem, le Lieutenant-colonel Menon brule le drapeau du 137è RI avant de
déposer les armes, tandis que le commandant Couché, refusant de se rendre,
debout face à l’ennemi abat cinq allemands avant de s’écrouler atteint par une
balle en pleine poitrine. Quelques débris du 137ème réussissent
cependant à gagner le pont du chapeau rouge sur le canal de Furnes et à s’y
maintenir.
Cette
nuit, pour gagner le mole- Est de Dunkerque, nous n’avons plus qu’un étroit
couloir entre la mer et le canal de Furnes. A vrai dire, cela nous inquiète
peu, nous avons par expérience que les
allemands attaquent rarement dans l’obscurité et d’autre part nous sommes bien
décidés à passer quoiqu’il arrive. Mais nous avons un rendez vous avec le bateaux
que nous ne devons pas manquer.
L’aube Tragique
A Malo
Terminus, nous quittons la voie
ferrée pour prendre la large avenue qui
conduit à Malo les Bains et à Dunkerque, puis nous longeons le canal qui aboutit près du môle Est.
D’autres
unités sont déjà engagées sur la route que nous suivons, ainsi que les groupes,
des isolés sans arme sortant on ne sait d’où, sans chefs, mais marchant tous
vers le même but, vers la jetée.
Bientôt
ce n’est plus une colonne qui avance, c’est une foule qui piétine, qui cherche
à s’écouler vers le môle Est trop étroit pour contenir tous les combattants qui
s’y pressent. Nous mettons une heure pour parcourir les 500 derniers mètres à
travers une cohue d’hommes qui se bousculent,
s’invectivent, chacun ne voulant pas perdre une place de peur de ne point
embarquer.
Aucun
service d’ordre, même pas à l’entrée de la jetée pourtant facile à barrer. Un
troupeau humain y stationne en attendant les bateaux qui n’arrivent point ou
qui n’arrivent plus.
Les
moyens mis par la marine à la disposition de l’armée sont pourtant
importants : 14 grands paquebots, 2 torpilleurs et une cinquantaine
environ de bateaux de pêche et de chalutiers.
Pourquoi
ne sont-ils pas tous venus ?
Pourquoi
des paquebots qui auraient pu enlevé près de 3000 hommes n’ont-ils pas accosté
cette nuit fatale ?
L’embarquement
des troupes a bien commencé pourtant à l’heure fixée. Des bateaux de pêche, des
cargos ont bien pris leur part de
cargaison humaine et fait place aussitôt à d’autres bâtiments qui s’emplissaient
à leur tour et mettaient cap sur l’Angleterre.
Mais la
faible capacité de ces moyens de transport n’a pas prévu d’écouler, selon le
rythme prévu la masse d’hommes à embarquer.
Sur le
quai de la nouvelle-Ecluse, ou attendaient les unités de la 32è DI, l’évacuation
est arrêtée des 3h30 et le général Lucas, qui surveille les opérations
d’enlèvement de sa division, à la chance de pouvoir partir dans une vedette anglaise amarrée au bout de
la jetée.
De
l’autre côté du Chenal , un destroyer britannique , après avoir sabordé un cargo
pour obstruer l’accès des bassins, quitte lui aussi la jetée à 3h45, après
avoir embarqué sur son pont 500 hommes ayant eu la veine de se trouver près de
l’endroit ou la passerelle du destroyer a été lancée.
Lorsque
le jour se lève, c’est à peine si l’on aperçoit au loin quelques fumées des
derniers navires qui regagnent hâtivement le port de Douvres.
Rien !
Le
désespoir commence à gagner ces milliers d’hommes qui ont combattu avec tant de
vaillance et qui viennent échouer maintenant sur la jetée d’un port, sans aucune
issue.
Certains
essayèrent de gagner la côte anglaise avec des canaux des radeaux, nous les
voyons s’éloigner à force de ramer.
Y
parviendront –ils ?
Des
groupes commencent à refluer vers les dunes afin de diminuer leur vulnérabilité
aux coups possibles de l’ennemi notre rassemblement constitue vraiment une
belle cible pour les allemands que rien ne peut arrêter maintenant.
Vers 6
heures, une escadrille de 26 chasseurs canadiens vient croiser au dessus de nos
têtes. Est-ce un adieu ?
Une
sourde colère gronde dans le cœur de ces hommes abandonnés à leur sort qui
n’attendent plus rien, sauf l’arrivée des vainqueurs !
Tout est
fin pour eux .ils n’auront même pas la consolation d’être capturés en plein
combat, après avoir épuisé toutes leurs cartouches, sur le sol français qu’ils
défendaient avec acharnement.
Vers 7
heures, le colonel blanchon qui commande provisoirement la 12ème
D.I.M depuis la mort du général Janssen passe près de nous et se dirige vers le bastion 32, PC du camp retranché.
Il n’y retrouve
personne. Le général Falgade est parti hier soir, à 212 heures avec l’amiral
sur une vedette de la marine.
…………………………………………………………………………………………………………………….
Vers 8
heures, un motocycliste allemand se présente à l’entrée du port, un grondement
de colère les accueille !
Ces
allemands, que nous tenions en respect hier soir encore n’ont plus qu’a nous
ramasser comme du vil bétail.
Toute
résistance est inutile et je vois autour de moi des Zouaves dont les yeux
pleurent de rage.
Je
prends alors mon pistolet, le démonte et en jette les pièces dans le port.
Toutes
nos armes subissent le même sort. Les fusils, les mousquetons, les
mitrailleuses sont brisées sur la pierre et leurs morceaux lancés à la mer.
Nous ne livrons
aucune arme aux allemands
A 9
heures le drapeau à croix gammée est hissé sur le phare.
Nous
assistons alors avec intense émotion à la prise de possession par l’ennemi de
ce port de dunkerque défendu si courageusement.
PRISONNIERS !
Les soldats allemands dirigent comme du bétail
quelque 40 000 soldats français
vers Rosendael, dans un vaste terrain, sans eau, sans abris, sans vivres.
Les
baïonnettes allemandes nous entourent !
Au
cours des deux derniers jours de combats très durs, les actes de courage et
même d’héroïsme n’ont pas manqué ; quelques-uns méritent d’être
mentionnés :
« Le
zouave BESSIERE blessé par balle
refuse de se laisser emporter par ses camarades, leur disant qu’ils ont une
mission à remplir. Le sergent GUAY et
le caporal DEBLED règlent le tir de
F.M malgré un bombardement intense et sont tués sur place par un obus ».
« JOUBERT, de la 3ème cie,
atteint par un éclat d’obus continu à se battre. Le tireur JOLY tire sur l’ennemi qui avance jusqu’à ce que son arme soit
brisée entre ses mains par un éclat d’obus ».
« CRAMPON, blessé le 1er juin,
à 14 heures, reste à son poste de combat et ne consent à partir qu’à la nuit
pour se faire soigner. Les agents de liaison THION, MAFARETTE, VILETTE, FRANCOIS, GUIDOUX, DECOURTIL, etc
passent à travers balles et obus. Les téléphonistes CUBAUD, CHEVRIER, réparent les lignes coupés sous le bombardement,
conduits par le lieutenant DIDIER des transmissions ».
« Les
brancardiers URBAIN, JEANNETON, font
l’admiration de leurs camarades par leur dévouement ».